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Il était un peu plus âgé qu'elle, de six ans son aîné. Quelques cheveux grisonnant commençait à parsemer ses cheveux bruns, davantage vers ses tempes. Sa mâchoire dessinée abritait une barbe de quelques jours qu'il ne rasait jamais de trop près. Elle le trouvait absolument charmant, mais n'osait pas l'approcher : elle le trouvait impressionnant, rempli de confiance et donnait l'impression de toujours réussir ce qu'il entreprenait. Mais c'est finalement lui qui fit le premier pas, qui lui accorda son attention, en lui fournissant quelques conseils, en l'aidant durant ses premières missions. Rapidement, probablement naïvement, elle le considéra comme son modèle, un ami cher à son coeur, un confident, et puis elle l'imagina autrement, sous un angle différent. Elle continuait de l'admirer, de l'écouter avec la plus grande concentration, avant qu'elle ne développe des sentiments qu'elle n'avait, jusqu'ici, jamais envisagé pour quiconque. Mais pour lui, c'était différent. Pour lui, elle était prête à tout, y compris lui faire aveuglément confiance.

Caleigh le regardait avec des yeux remplis de tendresse. Tous les deux à moitié allongés sur le canapé, Robin avait passé un bras autour des épaules de sa petite amie, et sa main, lentement, caressait son épaule dénudée. Si les prunelles grises de l'homme restaient concentrées sur l'écran de télévision qui diffusait un film des années quatre vingt-dix, la jeune femme, elle, ne pouvait détacher son regard de son visage, alors positionné de profil. Elle ne semblait jamais se lasser de ce visage qu'elle avait tant de fois observé. Les sourcils courts, la pointe de son nez qui se relevait, ses lèvres fines, ce menton légèrement avancé. Parfois, elle se demandait comment est ce qu'elle avait pu attirer l'attention d'un homme tel que lui. Et pourtant, c'était elle qui se retrouvait à ses côtés, dans cet appartement qu'ils partageaient depuis peu; quelques cartons encore fermés et le manque de meubles témoignaient de leur emménagement récent. À l'époque, elle pensait qu'après tous les malheurs subis, le temps de son bonheur était venu et que son bonheur n'était nul autre que Robin. De temps à autre, elle se hissait jusqu'à ce que ses lèvres atteignent le coin de celles de son amant et coéquipier, ou bien sa joue, ce à quoi il répondait par un regard affectueux et un baiser sur le haut de son crâne. Jamais elle ne se lassait de son parfum, une eau de cologne dont l'odeur s'éparpillait sur ses vêtements et s'imprégnait sur le tissu du canapé, à force de rester contre ce dernier. Elle espérait de tout coeur que leur relation ne change jamais au fil du temps, et avait même envie de rester dans cette position pour encore des heures, des jours durant, sans avoir à se soucier du stress infligé par le travail, ni la pression subie par leurs supérieurs, ni les criminels qui pullulent dans les rues. Mais pourtant, il y avait une ombre à ce tableau qu'elle jugeait de parfait. Au début de leur relation, et jusqu'à la fin, Caleigh avait remarqué les fréquents changements d'humeur de son petit ami, qui mêlait violence et paranoïa. Si il avait tenté de lui assainir quelques coups, les entraînements réguliers et menés avec brio ainsi que les séances quotidiennes à la salle de sport lui assurèrent une défense contre laquelle il ne pouvait rien faire. Il avait tendance à oublier que c'était souvent lui qui l'entrainait, alors elle savait parer ses coups et arrivait même à anticiper certains d'entre eux. Sans doute trop amoureuse, elle ne tenait pas compte de ses crises, préférait passer l'éponge, se disant que ce n'était rien. Sans doute, aussi, parce que Robin lui faisait comprendre que c'était de sa faute, qu'elle avait tendance à tout exagérer lorsqu'elle essayait de lui en parler. Alors elle ne disait plus rien, ne lui en parlait plus, et se contentait de prendre son mal en patience, de s'excuser, de lui affirmer que c'était la dernière fois qu'elle évoquait le sujet. Elle se disait qu'il avait probablement raison, qu'elle ne pouvait lui en vouloir et qu'elle devrait vivre avec puisque pour l'amour qu'elle lui portait, et pour le garder auprès d'elle, elle lui devait bien ça. 

"I swear to God, Garwell, I love you since we've met."

DÉCEMBRE 2015

À son arrivée dans l’équipe, il y a quelques années, elle fait connaissance avec l’agent Robin Hurtons. Après que celui-ci l’ai pris sous son aile, tous deux forment un excellent duo, y compris dans leur vie personnelle. Après six mois à se côtoyer professionnellement, ils finissent par emménager ensemble dans un studio de New-York. Mais Robin n’aimait pas particulièrement friand de l’exclusivité du couple, et appréciait toujours autant écumer les stripclubs et offrir des chambres de luxe à certaines de ses conquêtes. Prétextant le travail, il disparaissait pendant quelques heures, ou bien ne revenait que le lendemain matin. Si il lui arrivait d'émettre quelques doutes, Caleigh préférait fermer les yeux, lui attribuant une confiance aveugle sans jamais lui poser de questions, au risque de le mettre en colère. Pour elle, tout allait bien : un boulot dans lequel elle aimait s'investir, un appartement moderne et bien placé, un petit ami tendre et attentionné, qui revenait avec des fleurs et des cadeaux pour se faire pardonner « du temps qu’il passait au travail ». SI elle aussi avait tendance à finir tard après ses longues journées de boulot, il demeurait imbattable sur les horaires de retour, mais elle continuait de l’attendait sagement, patiemment. Lorsqu'il prévenait qu'il rentrerait tard, elle faisait en sorte de l'attendre avec des plats qu'elle avait mit du temps à cuisiner, quand bien même elle n'était pas particulièrement douée dans ce domaine. S'installant à table, elle fixait la chaise qui demeurait vide tandis que le plat refroidissait, et que l'horloge au dessus de la fenêtre ne cesse d'avancer.  Si seulement elle avait su que, de son côté, il ne l’avait pas attendue pour se jeter sur le plat de résistance qui n’était autre qu’une blonde sulfureuse avec trop peu de vêtements. Mais elle n’en savait rien. Alors elle attendait une, deux heures avec le ventre vide. Avant de finalement se résoudre à grignoter quelque chose. Si elle pensait qu'ils pourraient dîner tous les deux le lendemain, le sort, le travail, ou la blonde écervelée semblait s’acharner puisqu’il ne rentrait pas non plus. Une fois de plus, elle dînait seule, au beau milieu de ses pensées et de questions qui commençaient à émerger dans son esprit. Questions qu’elle ne préférait même plus se poser, probablement de peur de se retrouver face à une réalité qui lui échapperait.

MAI 2016

C’était un vendredi soir. Il devait être vingt trois heures passées lorsque Caleigh inséra les clefs dans la serrure de la porte de l’appartement qu’elle partageait avec Hurtons. Un peu d’agitation se fit entendre derrière la porte tandis qu’elle la poussait avec les sourcils froncés. « Robin ? » avait-elle lancé en poussant du pied sa valise à roulettes dans le petit hall d’entrée, glissant sa main le long du mur pour tenter de retrouver l’interrupteur blanc. À cet instant, lorsque la lumière éclaira le salon, elle avait l’impression de rêver, et aurait tellement voulu que ce soit le cas. Le visage surpris de Robin dépassait le dossier du canapé avec la bouche en forme de petit ‘o’. Perplexe, Caleigh jeta un rapide coup d’oeil vers les vêtements éparpillés au pied du canapé, et reconnu sans mal que certains d’entre eux ne lui appartenaient pas. Quelques pas vers ce qui semblait être le meuble de la trahison et de l’humiliation, une seconde tête fit son apparition. Avec des cheveux bien plus longs et des lèvres bien plus pulpeuses, elle reconnu sans difficultés l'agent Muhller, avec qui elle avait travaillé juste avant de prendre ses congés. « T’étais pas censée être chez ton père ?! » s’indigna Robin en essayant de se relever, véritablement agacé d'une telle situation, mais le moins du monde désolé. Pour toute réponse de la part de celle qui était censée ne revenir que quelques jours plus tard, il obtint un crochet du gauche qui lui arracha un cri de surprise mêlée à de la douleur. Il se mit alors à vociférer des insultes, lui ordonnant de s'en aller en se tenant la mâchoire de peur qu’elle ne tombe sous le coup qu'il venait de prendre. Si la peine lui déchirait le coeur, il ne lui en fallut pas plus pour quitter l'appartement qu'ils partageaient depuis trois ans. Un dernier regard à cet imposteur qu’elle avait tant aimé et dont les sentiments à son égard s’étaient envolés au moment où la lumière avait dévoilé qui il était réellement, et elle donna un coup de pied dans cette fichue table basse. Désormais renversée, le plateau en verre s’était écrasé sur le sol du salon dans un fracas terrible. De même pour la plante grasse aux larges feuilles dont la terre s’était déposée sur le tapis gris. L’humiliation qu’elle venait de subir avait amené la colère, la tristesse ainsi que le terrible sentiment d’avoir accordé sa confiance à quelqu’un qui ne la méritait certainement pas. Elle avait cru en lui et ses sois disant valeurs. Mais tout ça n’était qu’un jeu, pour lui. Elle se sentait terriblement stupide d'avoir laissé de telles choses se produire sous son toit, sous ses yeux. Dans un nouvel élan de colère, la télévision à écran plat que Robin avait acheté le jour suivant leur installation avait rejoint le sol, elle aussi, sous les hurlements du seul homme présent dans l’appartement. Caleigh ne parvenait même à ouvrir la bouche pour discuter. Son seul moyen de s’exprimer était d’envoyer son pied à travers les meubles qu’il chérissait tant -probablement bien plus que sa petite amie. D’un geste sec, elle reprit la poignée de sa valise et sortit, ne prenant pas la peine de fermer la porte derrière elle. Une fois en bas des escaliers, elle entendait encore Robin se morfondre sur sa télévision et de l’insulter de plus belle. Le lendemain, après avoir dormi dans un hôtel dont elle connaissait le propriétaire, elle comprit en arrivant au poste de police que Robin avait déjà craché son venin. Plusieurs de ses collègues regardaient Caleigh comme s’il s’agissait d'une inconnue, la méprisant et l'ignorant. Essayant de faire bonne figure, elle les saluait avec un sourire poli que personne ne prit la peine de lui renvoyer. Plus tard dans la journée, elle apprit que Robin était passé au poste avant qu'elle n'arrive afin de déposer quelques papiers qui prouveraient son incapacité à travailler dans les conditions dans lesquelles il se trouvait : il venait d'être arrêté une vingtaine de jours pour dépression. C'est en discutant avec Tom Dorne, qui n'avait pas la langue dans sa poche, qu'elle avait également appris qu’elle avait agit « comme une véritable hystérique en mettant l’appartement sans dessus dessous, frappé la fille qui était en dessous de Robin et l'avait frappé ». Elle avait bien tenté de s’expliquer, de démentir certains faits, mais malgré les hochements de tête, personne ne semblait vouloir la croire, parce que Robin était là depuis des années, que tout le monde l'appréciait sans réellement connaître toutes les facettes de sa personnalité. Seule sa supérieure ne s’était pas mêlé de ces histoires et préférait rester loin de tout ça, ce dont Caleigh lui était réellement reconnaissante.

JUIN 2016

Installée dans un studio depuis sa séparation avec Robin, c'est en déballant quelques cartons qu'elle n'avait pas encore touché depuis son emménagement, elle trouve au fond de l'un d'entre eux une collection de vinyles appartenant à Robin et qui lui venait de son père. Réfutant l'idée de garder un quelconque objet lui appartenant, et susceptible de ressasser de douloureux souvenirs, elle décide finalement de rendre les vinyles à leur propriétaire, quelques jours avant la fin de son arrêt maladie. Assise derrière le volant, elle avait longuement hésité à sortir du véhicule et à passer le seuil de l’immeuble. L’horloge digitale de la voiture affichait précisément vingt et une heures et trente neuf minutes. Ses iris sombres se posèrent sur la pile de vinyles posée sur le siège passager, et en prenant une grande inspiration, elle daigna bien vouloir les prendre sous son bras. Une fois dehors, son premier réflexe fut de lever le menton et de remarquer que de la lumière provenait de l’une des fenêtres de l'appartement, témoignant de sa présence à son domicile. Elle traversa donc la rue et appuya sur le bouton de l’interphone situé à côté de l’étiquette qui n'avait pas été modifiée depuis son départ et sur laquelle il était encore écrit « Hurtons & Garwell ». Elle attendit quelques instants, mais personne ne vint décrocher, alors elle appuya une seconde fois, puis une troisième. Quelques pas en arrière lui suffirent pour s’éloigner de la grande porte, remarquant que la lumière de l'appartement était toujours allumée. Fouillant dans la poche de son long manteau gris, elle sortit un trousseau de clefs qu’elle s'était promit de laisser à l’intérieur, une fois les vinyles rendus. La porte de l’immeuble enfin ouverte, elle monta les escaliers deux par deux et s’arrêta au quatrième étage. Par habitude, elle appuya sur la poignée, mais alors qu’elle s’attendait à devoir user encore une fois des clefs qu’elle n’avait pas encore rendues, la porte de l’appartement s’ouvrit. Un pied à l’intérieur lui suffit pour qu’une odeur nauséabonde ne remonte jusqu’à ses narines, la faisant grommeler et portant un bras devant son visage grimaçant, reconnaissant cette odeur qui lui était malheureusement familière. Les paupières légèrement plissées, c’est en avançant un peu plus qu’elle se rendit compte que la lumière provenait de la chambre à coucher, puisque tout le reste des pièces était plongé dans le noir. Saisissant la lampe torche qui se trouvait dans son sac à main, le faisceau lumineux de couleur blanche fit d’abord le tour de l’entrée, avant qu’elle ne se décide à avancer encore un peu. L’odeur demeurant épouvantable, elle craignait de voir ses hypothèses se confirmer. L’odeur qui avait embaumé l’appartement n’était pas celle de la cuisine ratée, ni celle de l'humidité, mais bien celle de la mort. Cette odeur immonde qu’elle avait rencontré sur de nombreuses scènes de crime. « Robin ? » avait-elle lancé avec un maigre espoir d'obtenir une réponse. Si entendre la voix de cet homme était devenu un véritable supplice, c’était pour l’instant tout ce qui l’importait. Dans le salon, rien ne semblait avoir bougé, seulement une petite plante renversée de la nouvelle table basse. Mais une fois être passée devant le canapé, quelques gouttes de sang attirèrent son attention. Elle accéléra le pas, jusqu’à ce que la lampe ne se dirige vers un premier corps, étendu sur le sol. Il s’agissait d’une femme. À vue d’oeil, cela devait faire au moins vingt quatre heures qu’elle était décédée : le corps avait gonflé, en particulier les paupières, l’abdomen et les lèvres. La mâchoire était complètement relâchée et on pouvait noter des traces de sang sous la muqueuse inférieure des yeux -qui sortaient d’ailleurs de leur orbite, comme si elle avait était griffée jusqu’au sang à cet endroit là. Elle avait reçu quelques coups sur le front, en témoignaient quelques ecchymoses violacés. Ses poignets semblaient avoir été attachés trop fort et trop longtemps, puisque des marques jaunes persistaient, malgré la putréfaction du corps. La respiration de Caleigh se voulait calme, mais elle s’était, sans le vouloir, accélérée. En se redressant un peu trop vite, elle eut quelques brefs vertiges et prit une longue inspiration, et elle secoua brièvement la tête. Au loin, elle remarqua que la porte coulissante qui menait au patio était entre ouverte. Malgré l'air frais qui s'engouffrait à l'intérieur, l'odeur de putréfaction était toujours bien présente et les murs semblaient s'en être imprégnés. Contournant le premier cadavre, elle fit en sorte que ses semelles ne soient pas en contact avec l’immense flaque rouge. De nouveau, sa main droite se tendit vers l’avant afin que la lampe torche éclaire le reste de l’appartement. Caleigh n’eut même pas besoin de s’avancer davantage qu’elle remarqua un second corps, celui d’une femme métisse, allongée sur le côté. Nouvelle inspiration. Le souffle qui s’échappa de sa bouche était hésitant, quoiqu'un peu paniqué. Un pas, puis deux, et enfin un peu moins de dix lui suffirent à remarquer un coup au niveau des tempes. Partie du visage bien souvent oubliée, mais pourtant tout aussi efficace lorsqu’il s’agit d'infliger d'importantes blessures. Le sang collé à la racine de ses cheveux bouclés témoignaient de plusieurs coups portés au crâne. Aucune autre marque ni blessure semblait être présente, comme si tout était allé si vite, sans qu’elle n’ait eu le temps de réagir. Un « Robin ! » agacé et impatient s’échappa de nouveau de ses lèvres, sa voix s'étant faite plus élevée, presque criée. En espérant entendre une réponse de la part de Robin, quelques souvenirs refirent surface, mêlant crise de violence et colère incontrôlable. L’idée qu’il se soit montré violent avec ces jeunes filles n’était pas à écarter; sous la colère, il aurait pu donner des coups bien plus forts sans mesurer sa force. Mais il fallait impérativement qu'elle lui parle, qu'il s'explique, qu'il raconte ce qu'il s'est passé. Tournant légèrement le visage, elle remarqua la lumière de la chambre qui parvenait à passer sous la porte. Si quelqu’un était vraiment là, dans cette chambre, elle aurait très certainement obtenu une réponse. La main sur la poignée, elle eut un instant de brève hésitation, la serrant si fort, les jointures de ses doigts s'étaient blanchies sous la pression qu'elle exerçait sur cette poignée. De toute évidence, elle n'avait plus le choix, il fallait qu'elle ouvre cette porte en essayant d'ignorer son coeur qui s'emballait dans sa poitrine, et qui martelait si fort que le rythme régulier battait également dans ses tempes. Et puis, lentement, la porte quitta l’encadrement en bois, et une nouvelle vague d’odeur de putréfaction fouetta ses narines. Les yeux écarquillés, le souffle coupé, Caleigh observait le corps inanimé de Robin qui pendait au bout des draps sombres.

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